Qu'est-ce qu'un système social ?

Regarder le collectif et les liens plutôt que l'individuel

 

Par Jean-Pierre Houillon

Partons en excursion dans la pensée systémique. Si vous voulez en tirer un bénéfice, vous devrez vous délester d'un certain nombre de comportements spontanés et d'habitudes intellectuelles. Pour vous aider à découvrir ce pays dont les us et coutumes peuvent vous être étrangers, nous allons, dans cette partie sur les fondamentaux, vous constituer un bagage élémentaire. Un peu théorique, un peu rébarbatif peut-être, mais qui vous permettra de vous familiariser avec les concepts et le langage spécifiques de la pensée systémique.

Qu'est-ce qu'un système ?

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Le système, concept de base de la pensée systémique, est un ensemble d'éléments en interactions et formant un tout. Ce système est en contact avec un environnement qui peut le transformer ou qu'il peut lui-même transformer. Pour illustrer le concept énoncé et la logique suivie, nous allons, pendant cette excursion, suivre un manager, Quentin Milot. Et puisque vous allez le retrouver dans différentes situations, il me faut en quelques mots vous le présenter. Il est actuellement directeur des ressources humaines de Sysinfo, entreprise qui se situe dans le peloton de tête des SSII. C'est un homme ouvert, diplomate, chaleureux, parfois, mais surtout - et c'est ce qui le caractérise le mieux - il est animé par une grande curiosité intellectuelle et un profond désir de faire évoluer les choses. Il fait partie de ceux dont on dit, lorsqu'ils ont 30 ans, qu'ils ont de l'avenir.

Aujourd'hui, il a assez bien tenu ses promesses. Le directeur général de Sysinfo, rendant hommage à ses qualités de communication, lui a confié l'animation d'un Groupe Qualité composé de chefs de départements appartenant à toutes les directions de la société. Par ailleurs, intéressé par la pédagogie, il enseigne les techniques de négociation à l'Ecole des cadres. Il joue dans une équipe de handball et préside une petite association humanitaire. Enfin, Quentin est marié et a trois enfants, de 1 à 4 ans, qui lui permettent aussi d'exercer ses talents de négociateur et de pédagogue... En somme, c'est un manager qui, comme bien d'autres, vit dans plusieurs univers différents. Entreprise, école, famille, handball, association... constituent autant de contextes sur lesquels et dans lesquels il agit et est lui-même influencé. Bien qu'ils soient ni de même nature ni de même niveau… Ce sont des systèmes. Or chacun de ces systèmes peut être lui-même subdivisé en plusieurs sous-systèmes. Dans le système Sysinfo, on peut dénombrer autant de sous-systèmes qu'il y a de directions.

Dans une direction, celle des Ressources humaines par exemple, on peut définir quelques sous sous-systèmes : le service formation, le service recrutement, le service administration du personnel. Dans le service administration du personnel, on pourra trouver une section paie et une section prestations sociales. Mais on pourrait aussi bien dire, si l'on change de niveau d'observation, que la direction des Ressources humaines est elle-même un système divisé en sous-systèmes. Ainsi, selon la façon dont on ajuste la lorgnette, le champ d'observation peut être considéré comme un système en quelque sorte, un système en soi, faisant partie d'un contexte plus vaste. Autrement dit, même le Groupe Qualité peut être étudié comme un système. Il peut lui- même avoir des sous-systèmes selon ce que l'on cherche à examiner.

Ainsi peut-on considérer le sous- système "animateur" et le sous-système "participants". De même, des entretiens annuels de progrès peuvent être observés comme des systèmes composés de deux sous-systèmes : le hiérarchique et le collaborateur. Tout dépend de l'endroit où l'on souhaite se placer pour regarder une situation.

Le système, concept de base de l'Approche systémique, est un ensemble d'éléments en relation les uns avec les autres et formant un tout. On dit qu'un système est ouvert lorsqu'il est en contact avec un environnement qui peut le transformer ou qu'il peut lui-même transformer. Tout système s'organise, spontanément ou de façon intentionnelle, en fonction d'un but. Explicite ou implicite, ce but répond généralement à un besoin de survie ou de développement propre au système.

L'entreprise de Quentin, sa direction, le Groupe Qualité qu'il anime, l'école où il enseigne, sont par excellence des systèmes ouverts. Quentin Milot, sa femme, sa grand-mère et ses trois enfants sont des éléments du système famille. Dans son école de cadres, le directeur, les enseignants, les élèves mais aussi le mobilier, les ordinateurs, les ouvrages sont des éléments du système. Dans les systèmes à composantes humaines, on s'intéresse bien entendu aux personnes mais aussi à des éléments inertes, quand une personne est en relation avec ces derniers dans les opérations de transformation à réaliser. Pourtant, si les éléments existent en eux-mêmes, on ne les considère que dans leur relation avec d'autres éléments dont ils sont nécessairement solidaires et dépendants.

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L'élément vivant – la personne ou le groupe – qui nous intéresse essentiellement dans les actions de changement présente trois caractéristiques principales : • un même élément peut se comporter différemment selon le système dans lequel il s'insère, • le comportement d'un élément est influencé par les éléments avec lesquels il est en relation, et réciproquement, • un élément peut être décomposé en éléments plus petits selon le niveau d'observation où l'on veut se situer. Il devient alors un sous-système lui-même composé d'éléments.

Par exemple, si l'on s'intéresse à ce que produit le Groupe Qualité de la société Sysinfo, ce groupe doit être considéré comme un élément. Par contre, si l'on se donne comme but d'étudier les relations internes du Groupe Qualité, chaque personne devra être considérée comme élément. De même, un parti politique peut être observé comme un élément dans le cadre d'une étude sur le système politique d'une nation. Ou considéré comme système dans lequel les éléments sont les cellules militantes, voire les individus, et cela selon le but de la recherche. Notre intérêt se porte toujours sur les interactions d'un élément avec d'autres éléments et non sur un élément seul.

Les éléments d'un système humain : définition et exemples d'applications

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Un système a-t-il des limites ?

Tout système s'intègre donc dans un environnement qui englobe tout ce qui n'appartient pas au système apparent mais seuls quelques éléments (ou systèmes) de cet environnement ont une influence sur le système … en tant que fournisseurs ou clients, effectifs ou potentiels, du système, mais aussi dans certains cas en tant que décideurs institutionnels ou informels.

Quentin Milot en accord avec le directeur commercial, a voulu lancer de nouvelles modalités de commissionnement pour les commerciaux. Ses propositions ont été remises en cause par le directeur financier, un homme dont l'influence auprès du directeur général est importante. Ainsi, cet élément (le directeur financier), bien que n'appartenant pas au système apparent (le système commercial), mais à son environnement, a eu une influence déterminante sur cette décision. De même, si le directeur général de la société Sysinfo décide d'acquérir de nouveaux locaux sans s'assurer du soutien de sa banque, il risque de mettre l'entreprise dans de sérieuses difficultés si le banquier refuse l'emprunt. Ce dernier est bien un décideur informel appartenant à l'environnement du système Sysinfo.

En effet, l'environnement contient des éléments potentiellement influents sur le système, soit parce que le système lui-même émet des flux qui vont faire réagir son environnement, soit tout simplement parce que l'environnement, par définition, évolue. En réalité, l'un et l'autre sont en perpétuelle interaction et mutation de telle sorte que l'un ne peut être considéré sans l'autre. Il existe dans l'environnement d'un système des éléments qui ont une action motrice ou une action de blocage sur le changement à réaliser et qu'il importe d'identifier et de prendre en compte. Les limites définissent les frontières du système et de la partie de l'environnement à prendre en compte. Si, dans certains cas, ces limites sont faciles à circonscrire, elles sont parfois imperceptibles et leur repérage nécessite une recherche particulière. L'analyse de la nature et de la fréquence des relations entre les éléments permettra de les déterminer. En effet, les limites d'un système ne sont pas toujours celles que l'on croit.

Un exemple : dans la direction des ressources humaines, une tension récurrente s'est installée entre deux cadres du service formation - M. Dumont et M. Gravier - à propos du déroulement d'actions de formation. On pourrait imaginer que le système à considérer en vue d'une intervention se limite au personnel de ce service, à ses procédures internes et aux relations qui les lient aux directions internes. Or pour résoudre ce conflit, on s'aperçoit qu'il faut prendre en compte le sous-système « participants des stages » et un organisme extérieur de formation. En fait, cet élément, fournisseur de prestation, qui pourtant semble bien extérieur, joue un rôle déterminant dans le fonctionnement des actions de formation. En effet, M. Gravier se trouve être administrateur de cette société de formation. Le système que l'on considère englobe donc cet élément qui est pertinent par rapport à l'objectif de changement fixé, à savoir régler le différend qui les oppose à propos des réactions des participants aux stages. Dans la même logique il n'est pas pertinent d'inclure dans les limites du système à considérer les cinq employés du service formation dans la mesure où ils ne sont pas directement impliqués et n'ont par conséquent aucun impact sur la résolution du conflit.

Le système à considérer est constitué par l'ensemble des éléments dits pertinents par rapport à un objectif précis de changement, ce qui inclut toute personne dont l'influence a (ou peut avoir) un impact déterminant, positif ou négatif, sur l'évolution du mode de fonctionnement, même s'il n'appartient pas à l'entité concernée ou à l'entreprise.

Comment fonctionnent les systèmes sociaux ?

Chaque système ou sous-système possède sa dynamique propre dont les qualités spécifiques évoluent au cours du temps. Il se transforme en permanence selon la teneur, l'intensité et l'organisation des échanges.

Les acteurs utilisent et font circuler des documents, des courriers, des mails, des fichiers, des listings, des notes, échangent par téléphone… (flux de matière et d'information), prennent des options (centre de décision). Ils se créent enfin une discipline spécifique, plus ou moins spontanée, plus ou moins élaborée (règles) et ils assurent, par le jeu des interactions, la cohérence de leurs actions (mécanismes de régulation).

Flux, centres de décision, règles et mécanismes de régulation constituent les aspects essentiels du fonctionnement d'un système à composantes humaines. C'est un véritable réseau de communication véhiculant le savoir, le pouvoir, les ressources qui génère la dynamique du système.

Dans les échanges de face à face entre les personnes on peut observer que les messages sont véhiculés par l'attitude corporelle, la voix, les gestes, les mimiques... Ces aspects particuliers ont fait l'objet de travaux par l'École de Palo Alto qui a donné naissance à la nouvellecommunication. En fonction de l'objectif de l'observation, un même flux peut être considéré comme étant d'une nature différente. Car, selon le contexte dans lequel circulent les flux, leur nature change. Des élèves de l'Ecole de cadres, au cours d'un match de football, sont des éléments qui libèrent des flux d'énergie et d'information. Cependant, dans le système Ecole, ces mêmes élèves sont des flux de matière qui entrent pour être transformés, au même titre que les barres d'acier qui entrent dans une usine pour sortir sous forme de roulements à billes.

Les flux d'énergie sont moins accessibles que les flux d'information et de matière. Il s'agit d'une forme d'alchimie entre des personnes ou des groupes que l'on désigne couramment par des termes généraux selon la nature des comportements observés. On parle volontiers de "résistance", de"résilience", de "pro activité", de "coopération". Dans les systèmes, existent aussi des éléments (personnes ou sous-systèmes) qui ont un pouvoir sur le débit, le trajet, la fréquence ou la durée des flux qui circulent. Par leurs actions, ils augmentent ou diminuent l'intensité de ces flux, ou encore en modifient leur nature.

Quentin3-2.jpg Lorsque Quentin Milot définit des objectifs à ses collaborateurs, engage du personnel, commande une voiture plus grande pour transporter sa famille, il fonctionne en centre de décision. Certains éléments du système ont le pouvoir, officiel ou officieux, d'agir sur les flux. Ainsi, Quentin, son directeur général, son responsable du recrutement, le délégué syndical, seront considérés comme autant de centres de décision si les faits confirment qu'ils usent effectivement de leur pouvoir. Cette restriction en dit long sur la distinction que l'on peut faire entre le pouvoir institutionnel et le pouvoir réel. Chacun saura en trouver autour de lui une illustration. Les processus de décision d'une organisation ne correspondent ni aux seules nécessités techniques ni aux seules affinités électives des personnes. Ils résultent des interactions inhérentes aux négociations quotidiennes et permanentes. C'est à travers ces échanges multiples et complexes que s'organisent et se régulent les comportements entre les acteurs. On constate également que les éléments observent des règles explicites, c'est à dire clairement, officiellement édictées. Et des règles implicites, celles qu'ils adoptent spontanément comme référence commune, parce qu'elles sont issues de valeurs sociales communes. Ces deux types de règles appartiennent à toute organisation.

Elles peuvent être plus ou moins récentes, contemporaines de la création de l'organisation, volontaires, autrement dit réfléchies et décidées, ou involontaires, c'est-à-dire résultant des attitudes et des adaptations successives des différents acteurs de l'organisation. Parmi les lois explicites ou implicites qui régissent le fonctionnement du système, certaines s'avèrent indispensables pour contrôler les excès liés à la variété des comportements. D'autres le sont moins, ou sont même inutiles.

Quand la société Sysinfo décide de mettre en place les horaires variables, elle donne au personnel une plus grande souplesse de fonctionnement. Il en est de même quand elle donne à ses commerciaux une grande latitude dans l'évaluation de la remise à accorder à leurs clients. Inversement, elle réduit les risques de dérapage quand elle fixe aux responsables hiérarchiques des limites d'augmentation de salaires ou quand elle décide d'imposer un appel d'offres pour toute demande d'achat de produit ou service dépassant un certain montant.

Optimiser le fonctionnement d'une organisation nécessite de trouver un équilibre entre les contraintes qui sont indispensables pour atteindre les objectifs collectifs et les marges de manœuvre qui sont nécessaires à chacun des acteurs pour assurer son propre développement. Pour assurer une cohérence interne, le système met en place des régulations et leur rôle de réajustement porte, entre autres, sur les règles de fonctionnement.

Comment se régulent les systèmes sociaux ?

Quand on observe un système, on s'aperçoit qu'il dispose de moyens de régulation qui se traduisent par des "rétroactions" Et, comme leur nom l'indique, ce sont des actions d'ajustement effectuées sur la base d'un retour d'informations en provenance du système lui-même ou de son environnement. Ces mécanismes peuvent être délibérément mis en place par les centres de décision ou émerger spontanément au gré des besoins du système.

Le but des mécanismes de régulation est en principe d'assurer une cohérence dans les processus de fonctionnement, soit par rapport à l'objectif fixé, soit par rapport à une norme de fonctionnement prescrite ou informelle. Une rétroaction qui a pour effet d'écarter de la norme en vigueur le processus comportemental et/ou le fonctionnement se nomme rétroaction positive (cf. fig).

Quand le fils de Quentin Milot renonce à la traditionnelle visite qu'il rend chaque semaine à ses grands-parents, quand le directeur général, pour redresser la situation financière de Sysinfo, licencie trente salariés non prévus dans le plan annuel ou quand Quentin décide de ne plus faire de cours à l'Ecole des cadres parce que les élèves chahutent, tous trois réalisent une rétroaction positive. Ce type de rétroaction engage le système dans un processus de changement. Au contraire, une rétroaction qui a pour effet de rapprocher le processus de fonctionnement de la norme en vigueur se nomme une rétroaction négative.

Lorsque Quentin rappelle aux participants d'une réunion de travail qu'ils s'écartent de l'ordre du jour fixé, il effectue une rétroaction négative. Autrement dit, il ramène le groupe vers la norme fixée. Il en va de même lorsqu'il tente de persuader son fils de poursuivre ses visites hebdomadaires à ses grands-parents. Enfin, s'il aide un de ses subordonnés à mettre en œuvre de nouvelles actions pour atteindre les objectifs fixés, il effectue encore une rétroaction négative parce qu'il tend à diminuer un écart qui naît et se développe entre l'objectif normé et le résultat atteint. Une fois encore, il revient à la norme.

Il faut bien avoir à l'esprit que les termes, positif et négatif qui qualifient la rétroaction n'ont aucune signification d'ordre moral. Ils indiquent l'augmentation ou la réduction d'un écart par rapport à une norme. Il convient également de préciser qu'une rétroaction considérée comme positive à un niveau peut devenir négative à un autre niveau. Si Quentin met en place des actions de formation pour permettre au personnel de ses services d'être polyvalents, il réalise une rétroaction positive en s'éloignant de la norme actuelle (spécialisation du personnel). Mais cette même décision constitue une rétroaction négative si l'on considère que la norme de Sysinfo est de chercher à adapter en permanence ses ressources aux besoins du marché et à ses contraintes financières.

D'une manière générale, toute rétroaction, positive ou négative, mise en œuvre par un sous- système a des effets sur lui-même, mais peut aussi avoir des effets sur d'autres sous-systèmes, qu'ils soient collatéraux, de rang supérieur ou de rang inférieur.

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