La causalité systémique

Penser en rond pour marcher droit

Causalité systémique

Abstract

La structure de la langue française qui nous amène à établir des liens binaires, simplistes, entre un seul effet et une seule cause. Nous disons "Il a réussi parce qu'il est intelligent". Intelligence => réussite. Mais la réalité ne fonctionne pas d'une façon aussi simpliste. Elle est toujours multifactorielle. "Il a réussi parce qu'il a eu de la chance"; "... parce qu'il a trouvé la stratégie gagnante"; "... parce qu'il a persévéré"; "... parce qu'il a eu la chance d'être élevé dans un bon milieu"; "... parce qu'il était au bon endroit au bon moment", etc.

Et ces multiples causes ne sont pas indépendantes les unes des autres. Elles s'organisent en systèmes circulaires qui régulent, font émerger ou détruisent les systèmes sociaux.

 

 

Causal loops... La causalité systémique en images


 

Causalité linéaire, l'illusion salutaire de la simplicité

Le langage est un illusionniste. En quelques mots, il sait balayer les situations les plus complexes. Et occulter certains pans la réalité tout en braquant le projecteur sur d'autres. Le langage simplifie. On cherche le pourquoi de quelque chose ? On finit par le trouver... Un effet, une cause et nous voilà satisfaits. La langue française nous a éduqué à la causalité linéaire, simpliste, réductrice.

Causalité linéaire

Et voilà notre pensée irrémédiablement orientées dans une direction unique. Mais la causalité linéaire ne tient pas la route. C'est une sur simplification du réel. Et c'est ainsi que depuis longtemps on a introduit la causalité multifactorielle. Plusieurs causes contribue de façon simultanée à un effet. Et bien souvent l'on a du mal à déterminer avec précision quel est le poids de chacune des causes contributrices.

- Pourquoi est-ce que les ventes de notre médicament phare ont chuté ? se demande-t-on en Comité de Direction.

- C'est parce que le concurrent a sorti une meilleure molécule avance le Directeur du Marketing.

- C'est parce que la clientèle s'est tourné vers d'autres approches thérapeutiques rétorque le Directeur des Relations Publiques.

- C'est parce que nous avons supprimé 5 postes de visiteurs médicaux,  affirme le DRH.

- C'est parce que nous n'avons pas les bonnes structures de distribution soutient le Directeur Commercial.

- Cela traduit la faiblesse de nos investissements en R&D depuis quelques années témoigne le Directeur financier.

- C'est parce que le Directeur Marketing n'est pas à la hauteur pense silencieusement le Président. Mais ça, il ne le dit pas.

Cette approche, déjà beaucoup plus complète a été popularisée par les démarches qualité sous des noms divers : Diagramme en arête de poisson, diagramme de causes et effet, diagramme d'Ishikawa.

Causalité en tête de poisson

 

Causalité multifactorielle, plus proche du réel

 

Depuis les années 1980, cette forme de pensée s'est imposée dans de nombreux secteurs. Aussurance qualité bien sûr, bureaux enquête accident, recherche médicale, etc.

A pensée multifactorielle, action multidirectionnelle. Plutôt que d'agir sur un seul facteur, on va privilégier les modes d'action qui agissent, plus ou moins simultanément sur plusieurs aspects du problème. Cette approche entraîne plusieurs bénéfices.

• L'efficacité de l'action augmente singulièrement, on ne regretta pas le temps supplémentaire investié à rechercher de multiples causes.

• L'approche multifactorielle fait taire les controverses stériles entre ceux qui sont focalisés sur une cause principale... Et ceux qui, pour des raisons souvent idélogiques, privilégient une autre logique explicative.

• L'approche est intellectuellement satisfaisante, car elle permet de faire le tour de la question.

Mais la causalité multifactorielle se heurte à ses propres limites. Elle fonctionne bien tant qu'on a affaire

• à un périmètre circonscrit, bien identifiable, une voiture, un avion par exemple.

• à des paramètres observables, mesurables, une panne de voiture ou un accident d'avion par exemple.

La causalité multifactorielle devient ingérable au delà de certains seuils de complexité et de subjectivité. Le corps humain, le fonctionnement d'une multinationale. Trop de portes d'entrée, trop de causes toutes reliées les unes aux autres, trop de points de vue, trop de subjectivité. Que faire ?

 

 

Causalité circulaire, les boucles de régulation

Causalité circulaire

Dès qu'on excède un certain niveau de complexité, et notamment dès qu'on aborde le vivant, le modèle de causalité circulaire s'impose. Chaque phénomène produit des effets qui, par des boucles de rétroaction complexe, viennent à leur tour réguler le phénomène premier. Dit autrement, la causalité s'organise en boucles de rétroaction, en cercles. En voici quelques exemples simplifiés.

Taux de sucre sanguin

Ce paramètre biologique est fondamental à la vie, l'hypoglycémie et l'hyperglycémie (absence et excès de sucre dans le sang) pouvant tous deux entraîner la mort. C'est un exemple type de l'homéstasie chère aux biologiste : la régulation d'un paramètre pour le maintenir à l'intérieur de bornes acceptables. Ici les deux vecteurs principaux de la régulation sont l'insuline et le glucagon.

Effet régulateur

Ceci étant, le schéma ci-dessus est très simplifié par rapport à la réalité. Il y a pas moins de 12 hormones différentes qui interviennent dans ce processus de régulation, et qui impliquent pas moins de 7 organes (le foie, le pancreas, les intestins, les tissus adipeux blancs, les glandes adrénales, pituaire et hyroïde).

Blocage des carrefours

Il suffit de se promener à Paris, Rome ou Athènes pour constater aux heures de pointe un phénomène qui se répète chaque soir. Les automobilistes, énervés par une longue attente à l'approche d'un carrefour, tentent de forcer le passage lorsqu'ils s'y engagent. Restant eux-même bloqués au milieu du carrefour, ils contribuent à l'embouteillage auquel ils voulaient paradoxalement échapper.

Effet Boule de neige

C'est ce qu'on appele en systèmique l'effet boule de neige qui met en jeu des boucles de rétroactions positives. Un peu d'embouteillage favorise plus d'embouteillage jusqu'à ce tous les véhicules soient à l'arrêt, et le système (temporairement) grippé.

Cet exemple illustre par ailleurs deux phénomènes que l'on retrouve fréquement dans les systèmes sociaux.

L'action juste est contre intuitive. Ce serait en veillant à ne jamais tenter de forcer le passage qu'on restaure la fuildité de la circulation. Certains pays (Irlande) on matérialisé cette approche en interdisant de s'arrêter sur certaines zones matérialisées au sol dans les carrefours.

Les acteurs du système (les automobilistes) sont tout aussi coincés dans une compréhension linéaire du système "je passe parce que je m'impose" qui est erronée. En bloquant les carrefous, ils ne font que rendre visible le blocage mental dont ils ne savent se défaire.

 

La causalité circulaire (systémique) pour minimiser les risques

Il ne faut pas se leurrer. Les schémas de causalité systémiques sont eux aussi des représentations de la réalité. Ils ne sauraient être ni exhaustifs, ni exacts. Ce sont, eux aussi, des modèles mentaux. Ce n'est donc pas parce qu'un schéma de causalité prend la forme systémique qu'il est vrai ! Pour le valider, il faudra le comparer avec les évolutions observées des systèmes réels, apporter pour chaque relation des éléments de preuve, etc.

L'utilisation de schémas systémiques présente toutefois plusieurs avantages de nature à minimiser les risques des prises de décision, et plus particulièrement lorsqu'il s'agit de résoudre un problème ou d'opérer un choix stratégique.

  • La causalité systémique intègre l'histoire. Elle fournit un schéma explicatif en réponse à la question de comment on en est arrivé là. 
  • La causalité systémique indique des tendances et les conséquences possibles. Les mécanismes qui ont créé la situation sont-ils toujours à l'œuvre ? Est-on dans une situation de cercle vicieux ? De cercle vertueux ? Quelles sont les tendances dont il faut tenir compte ? Les conséquences possibles des actions entreprises ? 
  • La causalité systémique favoriser l'économie dans l'action. Inutile de gaspiller ses ressources sur des leviers d'action qui n'en valent pas la peine. 
  • La causalité systémique met en évidence des pistes inédites. De nombreuses pistes d'action ont trait aux relations entre les facteurs, aux phénomènes de couplage (ou de découplage), etc. Autant de pistes d'action généralement ignorées lorsqu'on se concentre sur les seuls facteurs. 
  • La causalité systémique montre l'importance du temps. Pour agir avec justesse, il faut savoir intégrer ce paramètre. S'ajuster aux temps de réaction spontanés des processus. Exploiter le temps comme un allié plutôt que de l'avoir comme un ennemi.

Historique mieux intégré. Tendances mieux pointées, conséquences envisagées. Créativité dans la recherche des solutions, économie dans l'action, et utilisation du temps. Pour chacune de ces raisons, l'étude de la causalité systémique minimise les risques inhérents à toute prise de décision.

Le langage, comme on l'a vu, est un illusionniste. "Ceci cause cela", dit-on, en s'appuyant sur la causalité linéaire. Et voila des pans entiers de la réalité qui disparaissent... La causalité multifactorielle, ce drôle de génie, fait réapparaître la complexité ! Mais à quel prix ! Faut-il, pour comprendre la réalité, se perdre dans le désert et dénombrer chaque grain de sable ? La causalité systémique, ce bon prince, ne se contente pas de restaurer les éléments disparus. Elle les organise et leur donne un sens.

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