La systémique des peuples premiers

La systémique des peuples premiers n'est pas une école de pensée à part entière. Alors pourquoi lui donner sa place ici ? La pensée systémique, conceptualisée en occident a déjà franchi pas moins de 5 étapes qui ont toutes contribué à l'évolution des sociétés humaines.

1• La pensée systémique a commencé avec les Systèmes Physiques, constitués d'objets, dont les hommes ne font pas partie, bien qu'ils soient susceptibles d'être conçus par l'homme.

2• La prochaine étape fut celle des Systèmes Biologiques, qui sont bien vivants, même si le scientifique peut avoir l'illusion qu'il les regarde "de l'extérieur" et qu'ils sont tout à fait indépendants de son regard.

3• Les Systèmes Cybernétiques, nos ordinateurs, smartphones, l'intelligence artificielle, etc. qui représentent l'ultime frontière (actuelle) en matière de contrôle et de conception d'objets par l'homme et pour le service de l'homme. Approche qui pourtant s'est montré fort décevante en matière de structuration des sociétés humaines.

4• L'Ecole de Palo Alto qui a cherché, comme la cybernétique, à élaborer une "science de la communication chez l'animal et l'humain". Mais qui à l'inverse de la cybernétique, adopté une épistémiologie contstructiviste et postula que les humains sont des sujets.

5• La Systémique des Oganisations, qui face à l'échec de la cybernétique dans le champ des sociétés humaines, postule qu'il ne peut y avoir de connaissance absolue et impartiale des systèmes sociaux, qui resteront à tout jamais mystérieux. Mais que l'on peut avancer en travaillant avec les représentations construites par les acteurs au sujet des systèmes dans lesquels ils vivent.

Où est ce que ce cheminement nous emmène ? 

La nature ça n'existe pas

Il y a dans cette progression un chemin lent et constant qui va du matérialisme vers l'humain et le spirituel. De l'organisation des objets à celle des sujets et de la conscience. Force est de constater que ces cinq approches, toutes d'origine occidentales, respectent le dualisme nature / culture cher à l'anthropologue Philippe Descola, professeur au collège de France, La nature commencerait là où la culture s'arrête, et vice et versa. Le responsabilité de l'homme serait, comme le dit la bible, de contrôler la nature. Par exemple d'augmenter les rendements des champs de pommes de terre ou de réduire le réchauffement climatique.

Au contact des indiens d'Amazonie, Philippe Descola nous a montré que l'espèce humaine pouvait se doter d'une sixième forme d'attitude systémique, dans lequel "la nature, cela n’existe pas. La nature est un concept, une abstraction. C’est une façon d’établir une distance entre les humains et les non-humains qui est née par une série de processus, de décantations successives de la rencontre de la philosophie grecque et de la transcendance des monothéismes, et qui a pris sa forme définitive avec la révolution scientifique. La nature est un dispositif métaphysique, que l’Occident et les Européens ont inventé pour mettre en avant la distanciation des humains vis-à-vis du monde, un monde qui devenait alors un système de ressources, un domaine à explorer dont on essaye de comprendre les lois."

De l'identité juridique des entreprises à celle des rivières

La distance entre les peuples premiers et le monde occidental est à première vue telle qu'aucune des parties ne pourrait envisager de réellement comprendre l'autre. Comment pourrions nous, européens, apprendre à communiquer avec les plantes ? Comment est-ce que les indiens Ashuar pourraient comprendre que nous ayons conféré une identité juridique à nos entreprises ?

Et pourtant ces deux mondes se rapprochent plus qu'on pourrait le penser. Les derniers peuples d'amazonie disparaissent progressivement au contact des civilisations qui les entourent. Et pendant ce temps, la Nouvelle Zélande, le Québec et quelques autres ont créé une nouvelle fiction, l'identité juridique des rivières. De quoi permettre aux rivières, comme aux entreprises, de se faire représenter devant les tribunaux et de plaider leur cause. Idem aux Etats-Unis où un tribunal fédéral a donné à des hypopotames un statut de "personnes concernées" dans une affaire de justice. Etranges histoires qui nous rapprochent d'un coup de l'animisme des peuples premiers.

Gageons qu'il y a une sixième forme de systémique  en coulisse, qui reste à inventer. La systémique qui fera fi du dualisme nature / culture.