Les constellations sont-elles systémiques ?

Quelques arguments en faveur / quelques arguments contre

Nature systémique des constellations familiales

Les constellations sont-elles vraiment “systémiques” ? Nombreux sont les constellateurs qui utilisent dorénavant les termes de “constellations systémiques” comme chapeau pour inclure les “constellations familiales”, “organisationnelles” et “structurelles”. On verra la même logique à l'œuvre sur le site de l'International Systemic Constellations Association (http://isca-network.org/). Faut-il leur faire confiance ?

Une pratique plutôt qu'une construction théorique

On pourrait, pour répondre à cette question, se tourner vers les bases théoriques des constellations, décrites par exemple ici par l'association internationale des constellations systémiques: Thérapie familiale de Satir, phénoménologie de Husserl, cri primal de Janov, analyse transactionnelle de Bern, pensée transgénérationnelle de Boszormenyi-Nagy, inspiration jésuite et zoulou de Hellinger … Comme le dit laconiquement la page Wikipedia dédiée aux constellations : “La constellation familiale n'ayant aucune définition institutionnelle, un grand nombre de pratiques sans lien entre elles peuvent être proposées par des individus sous cette bannière”.

Qu'importe ? Les constellations sont une pratique plutôt qu'une théorie. Que nous dit donc l'expérience ?

Les arguments pour : Oui, les constellations sont systémiques !

Oui, les constellations procèdent par représentation visuelle (et corporelle) des systèmes sociaux, ce qui correspond bien aux dernières mouvances de la systémique.

Oui, elles reconnaissent que la cause des problèmes peut se trouver ailleurs que dans l'immédiatement présent. Dans d'autres espaces temps, en rapport avec d'autres acteurs ! Oui, elles réintroduisent dans l'analyse d'une situation des êtres et des dimensions qui avaient été occultées : les parents, les ancêtres, les frères et sœurs, les anciens conjoints, etc. En ce sens, elles provoquent une prise en compte élargie de l'environnement, ce qui est éminemment systémique.

Oui, elles illustrent remarquablement l'homéostasie des systèmes humains et leur tendance à se reproduire à l'identique, par exemple d'une génération à l'autre, sans que les individus en aient conscience.

Oui, elles privilégient les interactions entre acteurs, leurs positionnements plutôt que leurs qualités intrinsèques. Ce qui compte, ce sont les propriétés émergentes du systèmes plutôt que les propriétés de ses composants.

Oui : elles postulent que les systèmes sociaux sont malléables, et que la prise de conscience et la réorganisation des relations peut suffire à introduire des changements positifs.

Les arguments contre : Non, les constellations ne sont pas systémiques !

Non, la pratique des constellations confond “représentation” et “réalité”. C'est leur aspect le plus choquant ! Les constellateurs semblent traiter les représentations construites comme s'il s'agissait de réalités objectives, pures et dures. La subjectivité des représentants n'est pas questionnée. Aucune précaution oratoire n'est prise. On ne teste pas la validité des modèles. On ne génère pas de modèles alternatifs. Pire, les voix dissonantes et les signaux faibles sont mal acceptés par la plupart des constellateurs rencontrés par l'auteur ! Le modèle créé par la constellation ne fait donc pas l'objet de discussion et ne peut être contesté.

Non, les constellations reposent sur une vision des systèmes sociaux rigide, hiérarchisé, unipolaire. La “solution” proposée par la constellation est généralement une réorganisation du système par laquelle “chacun retrouverait sa place”. Aucune marge d'auto-organisation n'est laissée aux éléments du système ; la possibilité qu'il y ait plusieurs solutions acceptables est écartée ; “la solution” proposée n'est généralement pas validée par les acteurs, ou seulement de façon superficielle.

Non, les constellateurs se comportent généralement de façon dirigiste, voire autoritaire. Plutôt que de laisser les systèmes s'auto organiser, ils s'arrogent la place d'experts, cantonnant le client de la constellation et les représentants dans le rôle de “non experts”. Les constellateurs n'ouvrent aucun espace de débat contradictoire et ne soumettent pas leurs dictats à discussion ou à approbation. Cette tendance n'est qu'une conséquence des deux points précédents mais elle signe une vision plutôt rétrograde des systèmes sociaux. Elle explique probablement les accusations de “sectarisme” parfois entendues.

Repenser la pratique des constellations familiales

Pour que la pratique des constellations s'inscrive durablement au 21ème siècle plutôt que dans un moyen âge d'inspiration jésuite et zoulou, il faudrait qu'elle se réorganise autour des fondements de la systémique de 3ème génération :

Ne pas confondre la carte et le territoire. Ce que l'on peut connaître, ce sont des “cartes”, des “représentations” du système, pas sa vérité. Aucune représentation n'est fiable à 100%. Les représentations construites par les constellations devraient donc être testées, validées, étudiées, complétées par des représentations alternatives. Elles devraient faire l'objet de controverses, de discussion et de contestation. Elle devraient être traitées comme des œuvres d'art peut-être belles et touchantes, jamais comme des réalités objectives.

A problème ouvert, solutions multiples. Il y a toujours pluralité de pistes, de schémas d'organisation, de pôles susceptibles de réorganiser le système. Ceci devrait se traduire dans l'attitude des constellateurs (modestie par rapport aux premières solutions proposées) comme dans leur pratique (exploration systématique de plusieurs alternatives).

Relativité des règles. Ce qui est vrai pour Paul peut s'avérer faux pour Jacques. Les constellations pointent avec raison l'importance des règles morales dans l'organisation des systèmes sociaux tout en oubliant volontiers qu'aucune de ces règles n'est universelle, et qu'il faut regarder au cas par cas leur impact sur un système. Attitude qu'on déjà les meilleurs constellateurs rencontrés par l'auteur, malheureusement minoritaires par rapport à la déferlante de discours moralisateurs tenus par leurs collègues.

Auto-organisation plutôt qu'autoritarisme. Comme l'ont montré à grande échelle le nazisme et le communisme, la volonté d'organiser la société selon des schémas pré établis aboutit généralement à des catastrophes. Les constellateurs devraient donc délibérément renoncer à leurs pratiques interventionnistes pour se recentrer dans un rôle d'incitation à l'expérimentation et à l'auto organisation des acteurs, d'accompagnement du changement.

A quand la refondation des constellations ?

Les constellations sont donc “systémiques” au sens “mi -20ème siècle” du mot. Elles passent malheureusement à côté des connaissances plus récentes relatives aux systèmes sociaux. On ne peut qu'espérer l'émergence de personnalités susceptibles de refondre ces pratiques. Ce qui les rendra tout aussi intéressantes mais moins dirigistes, plus respectueuses et finalement, plus humaines.