Etude de cas, quand 2 et 2 ne font plus 4 !

Blocage chez les Experts Comptables

Etude de cas systémique comptable

 

La systémique pour remettre sur les rails un projet de changement. Qu'est-ce qui provoque l'arrêt d'un projet au milieu du gué ? Celui-ci était soutenu par la Direction Générale, il avait été lancé en grande fanfare et communiqué de façon exhaustive. Mais personne ne bougeait. L'intervention a, pour l'essentiel, consisté à identifier les facteurs de blocage, et donc les solutions potentielles…

Présente en France, cette société qui propose des services comptables est un acteur non négligeable du marché. En application des dispositions légales, elle est pour l'essentiel détenue par ses associés, ce qui lui confère une relative autonomie de gestion au sein d'un réseau mondial. Pour des raisons évidentes, cette société a préféré que son nom ne soit pas communiqué. Son expérience est toutefois d'une portée suffisamment générale pour qu'il soit intéressant de la citer.


La réussite n'est pas une tare

Surfant sur une croissance soutenue pendant dix, vingt, trente ans, l'expertise comptable en France ne pouvait que baigner dans un sentiment de réussite. De fait, les affaires de cette société étaient depuis longtemps prospères. Ses bureaux, bien intégrés localement, faisaient partie du paysage économique régional. Depuis des lustres, on rentrait dans la profession relativement jeune. On gravissait patiemment les échelons. On se faisait une clientèle et on prospérait avec. On attendait avec philosophie la promotion au grade de chef de bureau... L'excès de confort peut-il nuire à la santé ?

Dès le début des années 1990, quelques nuages vinrent toutefois assombrir le tableau. Lente érosion des marges et des parts de marché. Difficultés croissantes a recruter de jeunes collaborateurs. Emergence lente, progressive, mais néanmoins sure de nouveaux cabinets, plus jeunes, plus ambitieux peut-etre, et grignotant quelques clients par ci, quelques comptes par la... Rien de catastrophique. Mais une petite tendance. Deux et 2deux faisant quatre, à la longue, c'est inquiétant. N'était-il pas opportun d'agir ?

La direction générale fit ce qui s'imposait. Elle décida à la fin des années 90 de réorganiser. On spécialiserait dorénavant les équipes dans deux filières (les TPE et les artisans d'une part ; les grosses PME et les grands groupes de l'autre). On remodèlerait la carte des bureaux pour faire des " pôles " plus consistants, permettant de rentabiliser les investissements et de décupler les compétences. On encouragerait nombre de collaborateurs à se spécialiser afin d'avoir une palette de compétence plus pointues à proposer. 1 +1 = 3 en quelques sortes. A nous les synergies.


Inutile de persévérer : le message est passé

Pour propager le changement, une démarche classique : communication tous azimuts de la Direction Générale, incitations fortes, livrets récapitulatifs, etc. Les principes du changement étaient simples. Sa mise en œuvre dépendrait forcément de paramètres locaux qu'on ne pouvait téléguider depuis le siège national. Et les cadres maisons avaient déjà, à de nombreuses reprises, prouvé leur capacité à "mettre en œuvre". On attendit donc avec confiance les premiers résultats. Mais rien ne vint. Ou presque. Quelques mois, de nombreuses communications plus tard, toujours rien au crédit du compte changement. Que se passait-il ?

On fit appel à un avis externe, en l'occurrence, Henry Roux de Bézieux, de FranceManagement. Une cinquantaine de cadres terrain furent rencontrés, principalement lors de formations - action. Un groupe de travail informel fut constitué. L'heure des constats était venue.
Regarder ailleurs pour intégrer d'autres dimensions au projet Pourquoi les choses ne bougeaient-elles pas ?

- Premier constat : la communication était bien passée. Pas de problème, les cadres étaient informés du projet de changement. Inutile de le leur répéter encore et encore.
- Deuxième constat : la majorité des chefs locaux était d'accord (malgré quelques rares voix dissonantes) avec la nécessité de changer et considéraient que la direction suggérée était positive. "Mais qu'attendent-ils donc !" dans ce cas là ?
- Troisième constat : l'absence de "comment opérationnel". Si le projet de la direction disait clairement sur quels principes s'appuyait le changement, il ne disait nullement comment le mettre en œuvre de façon organisationnelle. Toutes les procédures, les critères fin de décision, les scénarios locaux restaient à construire.
- Quatrième constat : la faiblesse des compétences organisationnelles. Comme on peut s'y attendre dans une société qui a vécu une longue période de stabilité, rares étaient les cadres qui, au niveau local, avaient l'expérience de projets d'organisation. Ils ne manquaient ni de bon sens ni de bonne volonté. Mais d'outils spécifiques à l'organisation et d'encouragement à l'audace.
- Cinquième constat : il fallait adapter les systèmes de rémunération et de carrière. On sommait l'encadrement de quitter des positions sommes toutes confortables pour aller se battre sur des marchés plus concurrentiels. Personnes n'était prêt à le faire sans disposer de perspectives de rémunération et de carrière claires. Cela se comprend.

Il fallait donc, de façon urgente, commencer à donner au projet un profil plus concret. Cesser de répondre au niveau des principes. Répondre sur un plan opérationnel. Aussitôt dit, aussitôt fait.

- La direction donna au projet des dimensions opérationnelles, et notamment en précisant :
- les filières de promotion des collaborateurs.
- les profils cibles de charge de travail et de rémunération des collaborateurs à chaque niveau.
- les profils de compétences pour chaque poste type.
- les rôles et attribution des personnes clef dans la nouvelle organisation type.
- Elle communiqua l'ensemble de ces éléments aux cadres supérieurs.
- Elle incita les cadres à acquérir des compétences indispensables, notamment par des formations, à la conduite de projets d'organisation au niveau des bureaux.
- Elle fixa un échéancier de 4 ans pour effectuer la transition entre l'ancienne et la nouvelle organisation.

233 transparents ! C'est sous cette forme que les précisions opérationnelles furent transmises. Pas exactement un summum de concision ! Et pourtant, les réunions de diffusion de ces messages furent bien accueillies. Un nouveau vent d'optimise se mit même à souffler, et c'est à compter de ce moment là qu'on vit les premières expérimentations apparaître en région.


Une analyse systémique contrastée

S'il est trop tôt pour juger, de l'efficacité d'un plan quadriennal, on peut toutefois tenter de porter un regard systémique sur la situation et ses développements. En premier analyse, le blocage initial subi par ce projet de changement était simple : un projet surcommuniqué. Une culture d'entreprise qui n'est pas prête. De la bonne volonté, mais une exigence de garanties. Un besoin de concret, et non de principes. Oui certes, l'évidence est facile à constater après coup.

Le processus de changement dans cette société révèle l'imbrication de cinq systèmes interdépendants. Au début, l'entreprise souhaitait faire évoluer son marketing et son commercial (1er système). Ce qui fit rapidement apparaître la nécessité d'un changement de la structure organisationnelle (2ème système). A ce stade, le projet parût momentanément bloqué et ne se remit en route que lorsque la Direction accepta de changer son système de management du projet (3ème système) et de toucher aux systèmes RH (4ème système). Il aurait été possible d'intégrer ces deux dimensions dès le départ, mais elles faisaient parti des "non-dits" de la culture initiale de la société. Et puisqu'on ne pouvait en parler, on ne pouvait y toucher. On touche donc ici à un 5ème système, celui de la culture d'entreprise.

A l'heure d'aujourd'hui, les expérimentations ont démarré, mais elles ne se sont pas pour autant généralisées. Elles sont pour la plupart portées par des cadres légèrement plus jeunes qui accueillent les nouvelles règles du jeu. Certains bureaux sont ainsi proches d'avoir terminé leur transition. A l'inverse, on constate que le projet est freiné, voire immobilisé dans d'autres bureaux ou l'encadrement, généralement plus ancien, campe sur des positions plus autoritaires et moins participatives. D'autres facettes de la culture d'entreprise sont très probablement à l'œuvre.

Du point de vue de la Direction Générale de l'entreprise, qui avait pris les rennes à l'issue d'une longue période de stabilité et de prospérité, ce projet laisse des cicatrices. On ne s'attendait à ce que le projet soit si dur a mener... A ce qu'il traîne tant en longueur... A ce qu'il y ait autant d'obstacles à franchir.

Si la réussite tardive se teinte donc d'une légère amertume, les difficultés rencontrées ont fait évoluer les compétences tout en enrichissant la vision stratégique. Deux et deux font quatre, quatre et quatre font huit, huit et deux font dix. Peut-être fallait-il, après trop de tranquillité, un peu de trouble pour refaire turbuler le système.

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