Le team Biden a-t-il perdu la main ?
Qui inclure, qui exclure lors de l’analyse d’un système humain ? Qui prendre en compte, qui oublier ? Chaque fois que nous abordons un système, que nous essayons de le comprendre, nous le délimitons instinctivement en nous focalisant la plupart du temps sur ce qui nous paraît le plus proche, le plus simple à aborder. Cette délimitation est si rapide et si naturelle que nous n’y prêtons guère attention. Nous regardons par exemple l’organigramme officiel de l’organisation, alors même que depuis Michel Crozier, nous savons que c’est le sociogramme qu’il faudrait considérer. Nous menons une analyse organisationnelle qui exclut les clients et les fournisseurs. Logique non, puisqu’ils ne font pas partie de l’entreprise ? Approche erronée pourtant, qui risque de nous coûter toute perspective d’intelligibilité satisfaisante.
De l’exemple du couple…
On prendra à titre d’exemple ces problèmes si fréquents qui affectent les couples et ceux de ses connaissances.
Face à ces problèmes, la réaction la plus spontanée est bien souvent de rejeter la responsabilité sur l’autre moitié.
- Si seulement il/elle arrétaît de faire X
- Si seulement il était différent !
En terme intellectuels, cela signe une focalisation exclusive sur le binôme. C’est-à-dire l’unité de compte la plus réductrice. Erreur fatale ! Ces reproches sont basés sur une apparence d’intelligibilité. On croit avoir compris, mais la compréhension est terriblement superficielle. Et les reproches seront susceptibles d’exacerber les problèmes plutôt que de les résoudre. Alors que faire ? Elargir la délimitation du système bien sûr ! Conquérir une meilleure compréhension de ce qui se passe pour ouvrir la porte à des solutions plus satisfaisantes. Postuler par exemple l’existence de tiers significatifs, l’amant.e, l’ex, la belle-mère… comme le ferait un conseiller conjugal. Aller plus loin encore, laisser émerger cet inconnu.e qui perturbe le couple, un enfant décédé, un ancêtre indélicat, un schéma familial toxique, comme ça se pratique dans les constellations familiales ? Chaque élargissement du périmètre considéré offre une couche d’intelligibilité supplémentaire, ainsi qu’un nouvel éventail de solutions.
… A l’exemple de la politique étrangère américaine.
Débâcle en Iraq, débâcle en Afghanistan, débâcle des sanctions contre la Russie, débâcle prévue de la guerre en Ukraine, débâcle annoncée de la guerre en Israël… Les analystes sérieux sont nombreux à se gratter la tête… Comment est-ce possible qu’un pays, les USA, réussissent à échouer de façon aussi répétitive ? A mettre à mal le rules based order avec tant de constance ? Un pays qui est de facto puissance unipolaire, contrôle le dollar, monnaie internationale, a le budget militaire le plus conséquent du monde, la première économie du monde, un dynamisme entrepreneurial hors pair, une immense mainmise sur les institutions internationales, un contrôle quasi-total des vecteurs d’informations…
Les américains ont-ils perdu la main ? Sont-ils devenus incompétents ? Leur incapacité à faire prévaloir leurs intérêts et ceux de leurs alliés, à réussir leur politique étrangère, à donner envie de faire partie de leur camp, tout cela peut légitimement amener ce type de questionnement.
Erreur systémique, erreur de délimitation du système, soutient Clinton Fernandes, Professeur d’études politiques et internationale à l’Université de Nouvelles Galles du Sud (Australie) dans Subimperial Power: Australia in the International Arena. Car selon lui, des personnes aussi célèbres que John Mearsheimer ou Stephen Walt réduisent la politique étrangère à la maximisation du pouvoir et de sécurité des États, au service des intérêts de la nation et des citoyens. Dans ce cadre effectivement, envahir l’Irak et l’Afghanistan, dégarnir les armées occidentales pour soutenir l’Ukraine, encourager Israël, tout cela n’a aucun sens et nuit fortement aux intérêts bien compris ainsi qu’à la sécurité ultérieure des États-Unis.
Alors pourquoi agissent-ils de la sorte ? Car ces actions ont un sens, non pas dans le cadre réducteur de la recherche de pouvoir et de sécurité par les États, mais dans le cadre élargi des systèmes politiques, sociaux et économiques des État. Car, selon Fernandès, chaque politique étrangère n’est que le reflet d’un système politique, social et économique national. Et la place de l’Occident dans ce domaine, selon Fernandès, le met à part. Car les systèmes politiques sont progressivement devenus des figurants au service d’acteurs économiques désormais plus puissants et plus pérennes que les gouvernants. Ainsi les politiques étrangères occidentales sont systématiquement biaisées vers l’hégémonie, c’est-à-dire la recherche de la pénétration et de l’exploitation des ressources de pays tiers, souvent par le biais “du contrôle des élites socio-économiques de ces pays”.
Qu’importe donc si ces politiques ont un coût élevé en matière de pouvoir et de sécurité, du moment que l’hégémonie se maintient ? Dit autrement, qu’importe une perte de crédibilité inimaginable, du moment que les américains conservent avec Israël leur porte avion insubmersible à proximité du pétrole saoudien ? Qu’importe, dans la même veine, les attentats du bataclan du moment que l’uranium africain reste sous contrôle français ?
Les symptômes d’une mauvaise délimitation systémique
Face aux désastres engrangés successivement par les team Trump et team Biden, on était en mesure de se demander, comment est-il possible pour un pays aussi puissant de se tirer autant de balles dans le pied ?
Mais non ! Les team Trump et Biden ont été redoutablement efficaces. Leurs politiques étrangères ont été du dernier des réalismes. C’est la conclusion à laquelle on arrive nécessairement lorsqu’on élargit sa vision pour inclure les vrais acteurs à l’origine de ces politiques, ainsi que les vrais objectifs poursuivis.
Avec mes remerciements à Clinton Fernandès, ainsi qu’à Arnaud Bertrand qui me l’a signalé.
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