Faut-il rendre l'anglais facultatif à l'école ?
L'anglais à l'école, un système sous stress
A quoi ressemble un système qui prend l'eau de toutes parts ? L'enseignement de l'anglais à l'école nous en donne un bon exemple.
- Des objectifs irréalistes, que tous les bacheliers arrivent au niveau d'anglais B2 au Bac. Seuls 20 à 30% y parviennent, et encore, généralement pas à l'oral.
- Des indicateurs faussés. Les tests internes à l'Education Nationale sont conçus pour rendre la réalité plus rose qu'elle ne l'est.
- Une approche pédagogique passéiste, qui n'évolue pas. 30 élèves par classe d'anglais en France, 8 en Allemagne, cherchez l'erreur.
- Un mépris total pour le facteur humain. La motivation des apprenants est passée par pertes et profits. Celle des enseignants aussi. L'auteur de ces lignes, Esvet Trabzon, professeur d'anglais a été mutée 18 fois en 5 ans...
Y a-t-il encore un pilote dans l'avion ? Quelqu'un qui soit capable de changer l'architecture du système, et pas seulement de faire des discours devant les caméras. C'est le souhait exprimé par Evset Trabzon qui pose le plus sérieusement du monde une question qui lui est chevillée au corps. Faut-il rendre l'anglais facultatif à l'école ?
Les activités imposées, ce mood-killer
Imaginez ce qui se passerait si, dès demain matin, vous étiez forcé.e à apprendre à peindre ? Que resterait-il de votre amour pour Van Gogh, Dali ou Monet ?
Peu importe si votre don pour le maniement du pinceau n'attend qu’à être dévoilé, ou que vos mains préfèrent garder leur statut de pelle à tarte : vous commencerez demain matin à 8h sans discuter, présence obligatoire, pendant les 7 prochaines années. Ah... Et j’oubliais : apportez votre matériel, participez, et investissez-vous.
Comment allez vous réagir ? “Chef, Oui Chef ?”.
La discipline est largement valorisée dans l’éducation, mais se suffit-elle à elle-même ? Comment accomplir de grandes choses si l'on n'en ressent pas la motivation ?
L'anglais à l'école, ennuyeux
Pendant 5 années j’ai enseigné l'anglais en collège, lycée et BTS pour l’Education Nationale. J’y ai rencontré des élèves passionnés, curieux, drôles et motivés. Et d’autres apathiques, ennuyés, et désintéressés par l’anglais. A la fin de l’année, le calcul est vite fait. Pour certains : ils auront perdu environ 150h de leur année à faire une activité pour laquelle ils n'avaient aucun intérêt. Ils auront fait acte de présence sans en tirer de bénéfices.
Et l’histoire de l'anglais à l'école se répètera ensuite au collège, au lycée et jusqu’aux études universitaires. Sur les 30 élèves d’une classe, combien d’élèves ont envie d’apprendre l’anglais ? Ce qui est certain, c’est qu’une poignée d’entre-eux n’a aucun intérêt pour cette matière, et ne le développera jamais. Ne dérangez pas la classe, et réussissez ! Vous serez sinon bloqué dans vos choix d'études ou de carrières. Je me demande toujours : quel intérêt pour eux ?
De la 6ème jusqu’aux études supérieures, le raisonnement est le même : il faut faire de l’anglais. Mais expliquez-moi donc comment développer une passion ou simplement une envie, dans un système où il est obligatoire d’avoir son TOEIC (B2) pour devenir kinésithérapeute. Obligatoire d’avoir son Linguaskill pour devenir vétérinaire. Obligatoire de faire de l’anglais au baccalauréat. Obligatoire de parler anglais pour avoir cette foutue promotion.
Et non seulement il faut faire de l'anglais. Il faut le faire dans de mauvaises conditions, avec des classes surchargées (30 élèves plutôt que les 8 maximum pour l'oral, chiffre que l'on retrouve dans d'autres pays). Avec une pédagogie passéiste (Brian is in the kitchen plutôt que par exemple l'apprentissage de l'anglais avec les séries).
Obligatoire, obligatoire, obligatoire.
L’épanouissement impossible des élèves
Petite pause ! Je suis devenue enseignante par passion, parce que moi j’aimais bien l’anglais et que j’avais envie de partager un peu de ça avec des élèves un tant soit peu intéressés. Je n’avais pas prévu qu’un quart d’une classe n’aurait aucune envie d’être là. Et entendez-moi, je ne parle pas des élèves décrocheurs qui n’ont pas envie de mettre un pied à l’école. Je parle de tous ces élèves, qui n’ont montré aucun intérêt pour les langues, même après des années de cours. Que font-ils encore là ? Pourquoi sont-ils enfermés en cours d’anglais, au lieu de développer leur potentiel ailleurs ?
Je n’avais pas envie d’avoir en classe des élèves à qui j’apprendrai encore BE et HAVE en terminale pour la 1000ème fois. Et encore une fois, je ne remet pas en cause les capacités de ces dits élèves, uniquement leur motivation. Il n’y a qu’à voir ce qu’ils sont capables de faire en dehors de cette salle d’anglais. Je le redis, que font-ils là ?
Quel temps gâché ! N’aurait-il pas mieux valu qu’ils prennent le temps d’apprendre une autre compétence et qu’ils puissent exceller dans leur domaine ?
Une note d’espoir
J’adore me rendre compte que cet élève qui enchaîne les notes en dessous de 5/20 dans la matière est en fait super à l'aise dans un autre domaine. Je me dis souvent “Ah tiens, son truc c’est vraiment ça”. Alors je prends le temps de l'écouter et de l’encourager à suivre ses projets et ses envies. Et j’espère qu’il comprend par la même occasion, que je m’en fous complètement qu’il soit, comme il dit “nul” en anglais. J’aimerais qu’il comprenne que nous pouvons remplacer “nul” par totalement désintéressé.
Il n’en a juste rien à faire de l’anglais, alors pourquoi mais pourquoi donc le forcer à rester assis autant d’heures par semaine à faire une activité pour laquelle il n’a démontré strictement aucun intérêt après tant d'années, si ce n’est lui apprendre à être docile.
Après tout, nos parents ne nous disaient-ils pas “Fait-ce qu’il te plaît dans la vie” ? Je ne serais pas contre l’idée de faire une initiation à l’anglais, peut-être quelques mois ou une année ou deux, et voir si ça accroche. Mais passer une scolarité entière à faire de l’anglais, pour de si maigres résultats factuels, est d’une tristesse absolue. Je comprends bien sûr l’intérêt d’un tronc commun, d’un bagage culturel pour tous. Mais je ne crois pas qu’une langue, même dans ses rudiments, puisse s’apprendre sans aucun intérêt pour celle-ci.
L’art d’éteindre toute passion pour l’anglais
Ce raisonnement alambiqué de l’anglais obligatoire depuis le collège, produit des effets médiocres. A la fin de leurs études, est-ce que notre groupe d’élèves démotivés peut tenir une conversation ? Commander à manger dans un restaurant ? Faire du business en anglais ? Se “débrouiller”? Non. Ils n’osent pas dire un mot en anglais, sont parfois même complexés par leur niveau. ils ont clairement perdu leur temps, et l'Education Nationale a investi ses ressources pour rien.
Alors, serait-il si grave de supprimer le caractère obligatoire de l’anglais ?
Je ne pense vraiment pas du tout.
• Ça ne changerait rien côté résultats. De toute façon, ceux qui ne s’y intéressent pas ne progressent guère. Et la réalité de l'Education Nationale, c'est qu'on est bien loin de l'objectif crânement affiché de 80% des élèves qui atteignent le niveau B2 au Bac. On pourrait appliquer cette logique à une tonne d'autres activités d'ailleurs, les arts créatifs, le sport, l’écriture… Mais l'école ne s'encombre pas de ce type de questions. Les élèves doivent apprendre. C'est un devoir. Voilà.
• L'anglais obligatoire se paye cash en terme de motivation des élèves et des enseignants. Certains font juste acte de présence. Ils obtiendront une note minimaliste au bac et, dans la plupart des cas, ils resteront en échec avec l’anglais pour le reste de leur vie.
• Libérer du temps et des ressources. L'école croule sous les programmes, et les élèves sous les heures d'apprentissage. Pourquoi ne pas ménager ainsi une respiration gratuite aussi opportune pour les élèves que pour les professeurs ?
• Plus de ressources pour ceux qui sont motivés. Des classes plus petites, plus de temps de parole. Donc de meilleurs locuteurs d'anglais in fine. L'Education Nationale sait fort bien qu'il est impossible de s'entraîner à l'oral dans une classe de trente élèves. Voilà qui résoudrait une partie du problème. Et pour ceux qui renoncent à l'anglais... Plus de temps pour approfondir ailleurs.
La république survivrait-elle à la fin de l’anglais ?
- Attendez, attendez, disent les bonnes volontés. Vous ne revez quand même pas que l'anglais devienne facultatif à l'école ?
- Ben si.. On y rêve justement ...
- Mais la mondialisation ... Mais les entreprises ... Mais le TOEIC obligatoire en fin d'études ?
- M'enfin... Qu'est-ce que la change pour ces 80% d'élèves qui sortent de toute façon de l'école sans le niveau d'anglais requis ?
Soyons honnêtes, les professeurs d'anglais sont des réalistes. Il ne pensent pas une minute que ni l'école, ni le collège, ni le lycée, ni l'Education Nationale ne soient capables de les rejoindre dans leurs diagnostics et préconisations. Il faudrait pour cela un véritable séïsme qu'on ne voit pas poindre à l'horizon.
Car vu d'un joli bureau de bureaucrate, rue de Grenelle, il n'y a rien de plus beau, de plus parfait qu'un programme scolaire homogène et obligatoire. Qu'une enfilade de têtes aussi blondes que brunes, qui, toutes alignées, montent de façon synchronisée et harmonieuse vers le niveau d'anglais B2 dans l'ordre le plus parfait. Sauf que cette vision n'est qu'un village Potemkine, une fiction même pas drôle dénuée de substance et déconnectée du réel. Un fantasme auquelle la République a besoin de s'accrocher pour justifier une emprise top down, un rôle désuet de répression de l'individualisme, de mise en avant de valeurs surranées qui distinguent d'un côté ceux qui savent (les bureaucrates). Et de l'autre la pâte humaine supposée passive et informe (les élèves) qui ne sont vus que comme réceptacle d'une éducation à subir.
Alors que reste-t-il aux professeur d'anglais de l'Education Nationale ? Rêver du grand jour où l'institution Education Nationale rentrera enfin dans le vingt et unième siècle ? Démissionner comme je l'ai fait, comme l'a fait le célèbre Monsieur Le Prof ... Sombrer dans la dépression, comme j'ai vu tant de collègues le faire, l’Education Nationale est la seule institution française qui gère ses propres hopitaux psychiatriques.
Il est temps de rendre l'anglais facultatif à l'école.
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