Comment réformer l'Education Nationale ?

 

Quel destin pour l'Education Nationale ?

Une de nos collaboratrices étant une ex-professeur d'anglais (démissionnaire après 18 mutations en 5 ans, ça ne s'invente pas), il nous arrive de parler de l'avenir des méga-institutions, comme l'Éducation Nationale. 1200 ans d'histoire, si l'on remonte à Charlemagne. 1,2 million d'employés, 12,6 millions d'élèves dans les 1er et 2e degrés, 180 milliards d'euros de budget... Ces chiffres donnent le tournis.

Ce qui conduit tout droit à la question posée par cet article.

Comment conduire le changement dans une organisation de cette taille, de cette envergure ?

Cette question peut sembler rhétorique, tant l'Éducation Nationale semble inamovible, immuable, éternelle. Mais l'Éducation Nationale pose problème, c'est un secret de polichinelle. Souffrance au travail des professeurs, résultats en berne, instabilité de la gouvernance (6 ministres en deux ans, cela laisse songeur), etc.

Réforme Education Nationale

L'autorité, voie de garage

Claude Allègre, l'infortuné ministre de l'Éducation de la fin des années 1990, eut l'amabilité d'illustrer à la perfection ce qu'il ne fallait pas faire. Invoquer l'autorité institutionnelle, le rôle soi-disant omnipotent du Ministère, capable de tout décider, d'actionner seul tous les leviers de pouvoir. Son approche « top down », « dégraisser le mammouth » visait à alléger les structures (débureaucratiser, supprimer des postes, réformer l'état d'esprit d'une façon dirigiste). Elle fit rapidement l'unanimité contre elle, et ne produit qu'un seul résultat tangible, le départ du ministre. Représentez-vous la chose, un mammouth au régime, c'est forcément de mauvaise humeur, et potentiellement dangereux.

Il illustra ainsi la maxime systémique, selon laquelle, même un homme très doué et très puissant ne peut l'emporter contre un système s'il n'en comprend pas les rouages. Claude Allègre devait certainement se percevoir comme une personne talentueuse et influente. Cependant, son intelligence globale semble avoir été défaillante.

En échouant de la sorte, il savonna durablement la planche à tous ses successeurs jusqu’à présent. Aucun n'a osé lancer des réformes structurelles d’envergure, se contentant à la place de faire bonne figure avec des réformes qui ne modifieraient pas sensiblement le statu quo.

 

 

Le trumpisme distrayant

Petit détour outre atlantique pour explorer l'univers du trumpisme, variante distrayante et communicative de l'argument d'autorité. Avec son sens aiguisé de la formule, ses revirements inattendus, et son approche de la négociation, Trump ne se contente pas d'aborder les changements structurels profonds. Il les aborde de façon fracassante, de nature à déstabiliser par avance les acteurs, à les tétaniser afin d'obtenir ce qu'il cherche. " Supprimer l'impôt sur le revenu" ; " expulser les immigrants clandestins " ; " obliger la Chine à payer " ; " résoudre le conflit ukrainien en une journée " ; etc. Sa base rêve de lui faire confiance. La société américaine, en pleine dérive économique et sociale, surendettée, désindustrialisée, droguée, désorientée, ne doit-elle pas être redressée ? Ne faut-il pas un homme au moins aussi doué et aussi puissant pour y parvenir ?

Si le premier mandat de Donald Trump est un indice (2017-2021), l'Amérique attendra quelqu’un d’autre pour la réformer. Pourquoi ? Parce que « personne, aussi puissant soit-il, ne peut l'emporter contre un système s'il n'en comprend pas les tenants et les aboutissants ». Ni Trump ni son entourage ne sont des systémiciens. Des communicants, des idéologues, oui. Mais tout aussi dogmatiques que ceux qu'ils remplacent. Et ce n'est pas un mammouth enragé qu'ils vont devoir se confronter. Mais à une planète entière de mastodontes en furie.

 

Les petits cailloux

Comme l'Éducation Nationale française, l'URSS en 1989 semblait immuable, éternelle et inamovible. Elle fut néanmoins anéantie en deux petites années. Trébuchant sur quelques petits cailloux, d'apparence anodine, mais qui furent suffisant pour la faire chuter de façon irrémédiable. Il en va souvent ainsi des grands systèmes apparemment si solides, qui finissent par s’écrouler des façons les plus surprenantes. Plusieurs caractéristiques communes à ces écroulements.

• Ils passent initialement sous le radar. Gorbatchev, qui annonce aux dirigeants du pacte de Varsovie réunis le 21 novembre 1985 : « Ne comptez plus sur nos chars pour préserver vos régimes et vous maintenir en poste. ». Cela ne fit guère la une des journaux, ni à Moscou ni à Paris.

• Ils sont localisés à la périphérie, là où personne ne regarde. Berlin n’avait rien de central dans l'URSS. C’était une petite enclave ouest-allemande dont l’importance était plus historique et symbolique que réelle.

• Ils sont imprévisibles, souvent chaotiques. Élection d'un pape polonais qui soutient le syndicat Solidarnosk... Première brèche du rideau de fer entre l'Autriche et la Hongrie 6 mois avant la chute du mur de Berlin, etc.

• Ils répondent à des aspirations profondes auxquels les systèmes antérieurs ne répondaient pas, ou mal. Liberté de circulation et niveau de vie en Europe de l'Est et en URSS dans le cas cité.

• Ils échappent aux autorités. Ainsi, en ex-Allemagne de l’Est, le dirigeant Honnecker est contraint à la démission au moment crucial. La police refuse les ordres de tirer sur la foule, etc.

L'histoire nous enseigne que l'Éducation Nationale peut disparaître de façon inattendue, en l'espace d'une ou deux années. C'est peu probable, ça n’arrivera pas demain matin, mais cela peut arriver, il est impossible de l'exclure tout autant qu’il est impossible de le planifier ou de le prédire. Là encore, les initiatives périphériques anodines peuvent enclencher des mouvements dont l'institution ne saurait se remettre. Prenons-en deux, à titre d'exemple.

• Apprentissage auto-dirigé. Les recherches menées notamment par l'ATILF / CNRS montrent que, dans le domaine de notre collaboratrice, l'apprentissage de l'anglais, les meilleurs résultats sont obtenus par des approches qui n’ont pas cours à l’Éducation Nationale, les approches auto-dirigées, par lesquels les apprenants pilotent leur propre apprentissage. Les écoliers, les lycéens n’ont plus besoin d’apprendre l'anglais dans des classes de trente élèves aux niveaux et aux motivations hétérogènes. Ils peuvent l’apprendre mieux, plus vite, de façon plus motivante sur Netflix avec Rue (Série EUPHORIA),  Villanelle (Série KILLING EVE), Joël (Série THE LAST OF US) ou Arya Stark (Série GAME OF THRONES). Quel rôle alors pour les professeurs d'anglais ?



Comment est-ce qu'un enseignant pourrait concurrencer celà ? L'institution ne s'y est pas trompée, et les recherches françaises, souvent citées à l'étranger, sont méconnues dans l'hexagone. En sera-t-il toujours ainsi ? Un acteur privé, VICTORIA'S English tente déjà de les populariser avec son livre Watch & Play, Apprendre l'Anglais avec les Séries.

• Intelligence artificielle. Le développement de l'intelligence artificielle conduit tout droit à des “cours d'anglais”, accompagnés de "cours de conversation personnalisés" avec des "tuteurs IA" qui peuvent être utilisés à volonté, 24 heures sur 24, et presque sans frais. L'IA pourra mener trente conversations simultanées de front, avec les trente élèves de la classe ! Ces conversations seront de surcroit personnalisées, elles tiendront compte du niveau et des centres d'intérêt de chacun. L'IA ne se fatiguera jamais, elle sera de bonne humeur du matin jusqu'au soir, elle aura accès à tous les matériaux pédagogiques du monde entier, pourra projeter à volonté des films ! Aucun professeur d'anglais ne pourra jamais rivaliser avec cela.

Mettez-vous trente secondes à la place d'un parent. Que choisir ? La classe d'anglais à l'école, que votre enfant trouve ennuyeuse ? Ou le tuteur IA, qui vous coutera certes 9,99 € par mois, mais qui fera en sorte que votre enfant sera bilingue en deux ans.

 

Le changement structurel

Le changement structurel n'a pas bonne presse. On a tendance à faire du François Hollande. On prend des régions de taille moyenne, on les regroupe, on fait des régions plus grandes, plus complexes, et on garde tous les travers de la culture administrative antérieure. In fine, on y passe beaucoup de temps, et les bénéfices escomptés ne sont guère au rendez-vous.
Les changements de structure ont néanmoins ceci de favorable qu'ils permettent, lorsqu'ils sont bien menés, de partir différemment, sur un meilleur pied.

Transférer l'éducation aux Régions et abolir le ministère de l'Éducation serait de ces réformes-là. Les régions devraient être responsables de l'organisation, du financement et de la direction de leurs propres systèmes éducatifs, de manière plus proche du citoyen. De nombreux voisins, comme la Suisse, (10e au classement Pisa), ont un système éducatif performant, ce qui devrait nous encourager à envisager un système similaire. On notera que ce type de réforme ne fonctionnera que si l'autorité et les financements sont clairement transférés, si les Régions ont réellement la liberté de repenser leurs propres systèmes sans sacrifier à toutes les vaches sacrées du statut de ceci, des règles de cela, des critères de truc. Exit aussi toute notion de millefeuille administratif afin que les nouveaux acteurs puissent redéfinir à leur guise les statuts, les programmes, les critères, les investissements. Aux Régions aussi de se coordonner entre elles pour définir des examens nationaux plus ou moins homogènes, réformer Parcoursup, financer l'apprentissage, etc.

 

L'anglais à l'école est-il en danger ?

Notre partenaire VICTORIA'S English s'est amusé à créer la vidéo ci-dessus en guise de promotion pour son livre Watch & Play, Apprendre l'Anglais avec les Séries.. Elle est à prendre au deuxième degré, car nul ne pense sérieusement que l'Éducation Nationale est prête d'être réformée.

Mais n'oublions pas le sort de l'URSS. À force de vieillir et de se scléroser, les mammouths deviennent vulnérables, et trébuchent d'autant plus facilement sur les petits cailloux que le hasard sème sur leur chemin.

 

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