Méthodes et techniques pour la complexité

Outils pour la complexité

 

Par Serge Dassonville

Aujourd'hui, pour anticiper, gérer des situations complexes, coordonner des équipes souvent disséminées, résister aux pressions de tout genre, conduire des négociations, donner envie aux salariés de s'impliquer, les managers ont besoin d'un équipement méthodologique et technique plus adapté que celui qu'ils ont l'habitude d'utiliser. Les outils qui ont été élaborés par la logique systémique répondent mieux aux besoins pour gérer les situations toujours plus complexes auxquelles nous sommes confrontés que les techniques traditionnelles de management.

Pour ce qui me concerne, aussi bien comme manager opérationnel d'équipes de chefs de projets dans une société internationale d'ingénierie que, par la suite, comme DRH ou comme dirigeant au sein de RATP Développement, j'ai appliqué au quotidien l'approche systémique dans la mise en œuvre des démarches de changement et également dans l'utilisation des outils de management.

Ainsi, pour clarifier la demande d'un client, conduire une négociation, fixer une mission à un collaborateur…, j'utilise les composants fondamentaux du référentiel d'accès à la complexité. Cela me permet de renforcer ma cohérence managériale et de développer au sein de mon équipe de direction une culture d'accès à la complexité.

Voici, deux exemples de techniques systémiques que j'ai utilisées : le « retour d'expérience » avec un comité de direction et une modélisation des acteurs pour clarifier avec les chefs de projet, la nature de leur contribution avec les acteurs impliqués dans leurs contrats.

1 - Retour d'expérience avec un comité de direction

Le comité, composé du Président de la société et de dix collaborateurs, se réunissait une fois par semaine. Comme dans toutes les entreprises, il arrivait que les participants bousculent l'ordre du jour ou se perdent en débats stériles dans lesquels les affinités et les inimitiés personnelles jouaient un rôle excessif. Tant et si bien qu'on ne parvenait pas toujours à se mettre d'accord sur une orientation avant l'issue de la réunion, ou que personne ne savait précisément, une fois la séance achevée, qui se chargerait de mettre en œuvre une décision qui concernait un peu tout le monde… Voilà pourquoi le Président m'a demandé son aide pour voir comment améliorer le fonctionnement de ce comité. J'ai donc choisi de faire un « retour d'expérience » avec comme objectifs : harmoniser les relations et trouver une méthodologie efficiente. Chaque participant ayant pu s'exprimer avec le recul nécessaire sur le sujet, voici les règles du jeu qu'il a établies.

Les réunions se préparent

  • Première résolution. Formuler par écrit le but du thème de l'ordre du jour : s'agit-il de prendre une décision, d'échanger des idées ou tout simplement d'apporter une information ?
  • Seconde résolution. Préciser à toute personne chargée de présenter un dossier au comité ce qu'on attend de son travail : à quoi servira-t-il, quel niveau d'approfondissement est souhaitable, quels sont les points à traiter impérativement, etc. Cette précaution permet d'éviter les rapports creux et les digressions interminables… dont la responsabilité est bien souvent rejetée sur un collaborateur.

Un chef d'orchestre

L'animateur du comité ou le président…

  • proposera des règles simples pour éviter que la discussion ne parte dans tous les sens. Outre la courtoisie minimale qu'il n'est, hélas, pas toujours inutile de rappeler (on ne parle pas tous en même temps, on ne se livre pas à des apartés, on ne coupe pas la parole à tout bout de champ !), l'organisation des échanges s'avèrera la suivante : après la présentation du sujet, l'animateur recueille les perceptions et les avis des participants, chacun s'exprimant à tour de rôle, avant d'engager une discussion générale,
  • rappellera, pour chaque sujet abordé, l'objectif stratégique poursuivi,
  • indiquera clairement le nom de la personne en charge de mettre en œuvre telle ou telle décision et précisera éventuellement un calendrier pour les mises au point intermédiaires,
  • n'oubliera pas, s'il y a lieu, de faire réfléchir les participants au contenu et aux modalités des communications à faire passer, et à en définir les destinataires,
  • établira un support récapitulant les engagements pris afin de pouvoir le consulter à tout moment entre deux réunions de comité,
  • pensera à faire préciser les sujets de l'ordre du jour de la réunion suivante…
  • Une réunion n'est pas finie si les modalités de suivi ne sont pas définies…
  • l'animateur s'assure, par téléphone ou lors d'un entretien, que tout collaborateur en charge d'un dossier a parfaitement intégré ce qu'on attend de lui, si personne ne s'assure de l'avancement des travaux qui lui ont été confiés. Cette démarche se révèle parfois l'occasion de tirer de l'embarras quelqu'un qui se noie sans oser crier au secours….

Lorsque le comité invite…

Il évite de le faire au pied levé : toute personne extérieure au comité doit savoir ce que celui-ci attend d'elle afin de se préparer à répondre de façon pertinente et claire. Si un exposé est demandé, il précise en plus de l'objectif de la présentation, le temps dont l'intervenant disposera. Lors de la réunion, il suit, par égard pour l'invité, les mêmes règles du jeu que d'habitude : présentation globale du dossier, suivie de questions de clarification et recueil des avis ensuite.

Ce ne sont pas seulement les enseignements pratiques qui sont essentiels dans cette démarche mais plutôt le cheminement suivi par les membres du comité. Ils ont pris du temps pour descendre de leur bicyclette afin d'examiner si leur manière de pédaler et le chemin suivi étaient conformes à la destination implicitement fixée. Ce fut l'occasion d'échanges en profondeur et de réajustements sur le fonctionnement du comité et sur son rôle.

 

2 - Modélisation des acteurs en relation dans un projet d'ingénierie

Dans la société d'ingénierie internationale du transport urbain et ferroviaire où j'assumais la fonction de DRH, j'avais décidé de bâtir un programme de formation pour une soixantaine de chefs de projet. Une action d'envergure qui nécessitait évidemment d'être cadrée ! Nous avons réalisé ce cadrage en utilisant la modélisation pour identifier avec les chefs de projets les acteurs avec lesquels chacun d'eux était en relation pendant la "vie" de son projet. Elle a permis d'élaborer le contenu pédagogique de la formation et fut, par ailleurs, utilisée lors des stages pour répertorier leurs "contributions permanentes".

Cette représentation a permis de :

  • mettre en évidence la diversité des relations qu'un chef de projet devait assurer,
  • valoriser l'importance de la fonction et de ses enjeux,
  • servir de repères pour construire le contenu des contributions du chef de projet dans cette société.
  • fixer au formateur des objectifs pédagogiques pour aider les participants à mieux remplir leurs missions. Celui-ci a donc été en mesure de définir des objectifs pédagogiques bien centrées sur leurs activités spécifiques.

Lors des stages, l'animateur faisait construire cette modélisation par les participants puis leur demandait de mettre en évidence les principales contributions du chef de projet avec chacun des acteurs concernés.

Voici les contributions récurrentes obtenues par les différents groupes en formation :

Avec le client

  • Obtenir une vision précise des besoins du client au lancement du contrat, identifier les interlocuteurs pertinents et préciser le mode de relation avec ceux-ci, (modalités des réunions, d'approbation des PV, de délais d'approbation des rapports),
  • Obtenir les données "d'entrées" du projet et les valider,
  • Aider le client à clarifier les nouvelles demandes qu'il exprime au cours de la vie du projet,
  • Gérer, voire négocier, les demandes de modification et leurs conséquences, (en distinguant ce qui relève du contrat et ce qui peut susciter des extensions), • garantir la qualité des prestations (contenu, engagements, comportements, non conformités),
  • Obtenir le paiement des prestations réalisées en fonction des termes du contrat, la levée de garantie et le certificat de bonne fin si nécessaire,
  • Assurer l'équilibre entre les attentes du client et les intérêts de l'entreprise, (limites des prestations, prises de risques, extensions possibles, déontologie),
  • Identifier voire susciter des demandes complémentaires (commercial de proximité).

Avec la direction générale

  • Mettre en cohérence les enjeux du projet par rapport à la stratégie de la société, • s'ajuster sur un mandat de projet, • rendre compte de l'avancement du projet, des écarts constatés et des apparitions de risques,
  • Fournir les informations "de gestion de projet" (planning, budget, encaissements, suivi),
  • Proposer des actions pour optimiser la marge du contrat,
  • Obtenir une décision pour les modifications importantes à accepter ou à proposer,
  • Demander l'arbitrage pour les différends qu'ils ne peuvent résoudre, • assurer une information réciproque sur des pratiques pour en tirer des enseignements profitables.

Avec les membres de l'équipe projet

  • Préciser clairement ce que le chef de projet attend de chaque membre de son équipe et lui donner une vision globale en s'ajustant sur le "qui fait quoi pour qui • et pour quand",
  • Fournir aux membres de l'équipe les éléments d'information nécessaires à la compréhension du projet et de son contexte, ainsi qu'aux aspects logistiques du projet (imputation, note de frais, hébergement, déplacements) :
    • en assurant les échanges d'information relatifs à l'évolution du projet entre les membres de l'équipe,
    • en effectuant les ajustements liés aux contraintes imprévues ou aux écarts de production,
    • en garantissant la coordination des travaux réalisés par les différents intervenants,
    • en gérant les interfaces avec le chef de mission (ingénieur résident), en fournissant une appréciation aux membres de l'équipe sur leur contribution,
    • en contrôlant les prestations fournies (délais, qualité, homogénéité, budget, imputations...).

Avec la direction technique

  • Élaborer par écrit le cadre des contributions réciproques ainsi que les modalités d'ajustement et de validation,
  • Définir les fonctions et/ou les profils des ingénieurs et experts et obtenir leur affectation sur le projet,
  • Susciter et mettre en oeuvre des actions pour optimiser la marge du contrat,
  • S'assurer que la contribution est conforme aux exigences du contrat (qualité, délais, coûts),
  • Prendre l'initiative d'ajustements en cas de difficultés,
  • Communiquer les appréciations demandées sur la contribution des ingénieurs et des experts,
  • Obtenir des orientations sur le choix des fournisseurs et des partenaires,
  • Obtenir l'évaluation des responsabilités encourues par la société et des risques correspondants.

Avec les directions fonctionnelles

  • Préciser les contributions attendues des services et les associer en amont à chaque fois que nécessaire,
  • Fournir les informations utiles à l'entreprise (gestion, finance, ressources humaines, documentation d'intérêt général).

Avec les partenaires de la société

  • S'ajuster clairement avec les partenaires sur : le leadership vis-à-vis du client, l'organisation du pilotage et de la gestion du contrat, la répartition des recettes et des charges, la nature et la répartition des tâches, la nature des responsabilités réciproques et des garanties correspondantes, les modalités de paiement,
  • Elaborer ou faire élaborer puis négocier et conclure un accord de partenariat, • s'assurer de la mise en place d'une structure de direction et de coordination du projet afin de permettre les choix et les régulations nécessaires, • définir le système d'échange d'information ou s'assurer de son existence.

Avec les fournisseurs

  • Préciser clairement la commande en termes d'objectifs et de résultats à atteindre,
  • Lancer éventuellement des appels d'offres (selon les règles internes),
  • Négocier et passer des contrats précis (coûts, délais, qualité, responsabilités),
  • Suivre le déroulement du contrat pour s'assurer de la conformité des prestations et effectuer les ajustements nécessaires, • signer le bon à payer pour la comptabilité.

Cette approche pédagogique qui part de la représentation des acteurs réellement en relation présente l'avantage d'être bien centrée sur la réalité de chacun. Elle évite une tentation de formateur qui consiste à proposer une définition de fonction standard. De plus, le travail d'appropriation par les chefs de projet a été très bénéfique dans la mesure où ils ont eu le sentiment que la direction tenait compte de leurs réalités. Par ailleurs, la direction en a profité pour remettre à jour sa perception de ce qu'elle pensait être leur réalité. Tout le monde en a donc tiré un bénéfice.

Il existe bien entendu d'autres techniques que la systémique met à notre disposition. A titre indicatif, en voici quelques unes :

L'analyse de système

Pour comprendre le fonctionnement d'un système ou représenter une séquence de processus.

La grille de lecture systémique

Pour permettre à un manager d'améliorer ses comportements.

Le recadrage

Pour aider une personne (collaborateur, collègue, hiérarchique) qui passe un moment difficile à se remotiver en positivant sa représentation négative d'une situation.

La synchronisation interactionnelle

Pour faciliter le recueil d'information en réduisant au maximum le risque d'interprétation des signaux non-verbaux perçus chez son interlocuteur.

La prospective régressive

Pour rechercher des solutions nouvelles en projetant les interlocuteurs dans un futur où tout fonctionne bien pour ensuite les ramener au présent.

Ces exemples sont présentés pour illustrer que l'approche systémique apporte aux managers des techniques efficaces pour faciliter leur management quotidien et conduire des changements. D'autres méthodes, outils et stratégies de changement seront développés dans la partie « ECHANGES » de ce site.

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